• Et pour une dernière fois je te parlerai comme si je t'écrivais…

    Et pour une dernière fois je te parlerai comme si je t'écrivais...

    Carl et Mona, 69 ans tous les deux, vont bientôt mourir.

    Carl décide de raconter à l'amour de sa vie, comment il a vécu leur histoire, en lui parlant comme s'il lui écrivait une dernière lettre...

     

    On peut toujours être le héros de sa propre histoire...

     

    Carl et Mona sont les héros de la leur, plus forts que tout, plus forts que la mort... 

  • Et pour une dernière fois, je te parlerai comme si je t'écrivais.

     

     

     

    « -Et pour une dernière fois, je te parlerai comme si je t'écrivais.

    -Veux-tu que je ferme les yeux ?

    -Oui s'il te plaît. Chère Mona, je ne sais pas si tu t'en souviens, mais dans les dessins animés que nous regardions étant petits, ceux en noir et blanc, c'était toujours la femme qui laissait une lettre à son mari avant de mourir. Une femme triste et mourante, malade et dont la beauté s'était effacée avec le temps. En parlant de temps, ils ont bien changé ma Mona. Je suis une homme, malade et mourant certes, mais plein de gaieté et toujours dynamique ! Même ce soir je suis enthousiaste... Il fait beau d'ailleurs. La lune est pleine et entourée d'étoiles comme je suis entouré de toi. Je me souviens encore du premier jour où je t'ai vue. Tu portais une robe bleu ciel, de la même couleur que tes yeux, qui me faisait penser aux nuages. En revanche ce jour-là, il pleuvait et le ciel était gris. «  Tu jouais au ballon dans ton jardin et moi, je restais éberlué devant toi, n'ayant jamais vu une fille jouer au ballon... Je n'osais pas m'approcher, de peur que tu me rejettes. J'en avais l'habitude bien sûr. Rejeté de tous depuis que je suis petit. Je n'ai jamais su si c'était à cause de mes lunettes rectangulaires ou de mon embonpoint. De toute façon je ne le saurais jamais. Mais tu es venue vers moi avec ton ballon et ton sourire auquel il manquait une dent. J'ai toujours aimé ce sourire là. Tu m'as alors lancé ton ballon et je l'ai rattrapé, maladroitement. Tu m'as fait un grand sourire et nous avons joué toute l'après-midi, sans jamais s'en lasser. Quand il pleuvait de nouveau, nous allions nous abriter sous le grand palmier qui trônait dans le coin de mon jardin. Et nous repartions jouer dès que l'averse cessait.

    «  Quand ta maman t'as appelée pour que tu ailles prendre ton bain, tu t'es approchée de moi, je t'ai rendu ton ballon et tu as déposé un baiser sur ma joue, tandis que l'averse reprenait de plus belle. Tu m'as lancé un « A demain ! » plein d'espoir et tu es rentrée chez toi. Et moi, je n'ai jamais été plus heureux. Ma mère a du venir me chercher dehors parce que je ne venais pas quand elle m'appelait. J'étais bien trop occupé à penser à ton baiser pour écouter ce qu'elle me disait. J'étais trempé jusqu'aux os mais je pensais à toi. Et j'ai pensé à toi en rentrant, j'ai pensé à toi en mangeant, j'ai pensé à toi en me couchant, j'ai pensé à toi en rêvant, j'ai pensé à toi en me réveillant, j'ai pensé à toi. J'ai pensé à toi comme j'ai toujours voulu penser à ma première amie. Parce que c'est ce que tu étais. Ma première amie. La première personne qui n'était pas partie, avec un air de dédain, en me voyant. La première personne qui avait joué avec moi plus de 2 minutes, sans soupirer d'agacement chaque fois que je n'arrivais pas à attraper la balle que tu me lançais. La première personne qui m'avait accepté, malgré mes lunettes, mon embonpoint, ma maladresse, ma timidité, et tous mes autres défauts. La première personne qui avait su voir au-delà des apparences. La première personne qui ne m'avait pas rejeté… Ma première vraie amie.

    «  Nous nous sommes forgés une amitié qui résistait à toutes les épreuves. Nous ne nous sommes plus quittés. Ensemble partout où nous allions. On nous surnommait « Les inséparables », comme ces oiseaux que tu aimes tant. Oui, nous étions inséparables. Et un beau jour nous nous sommes mariés. C'était le 14 août 1956 et nous avions 21 ans. Je t'attendais près de l'autel, dans mon beau costume que j'avais acheté avec les économies que j'avais faites depuis que nous avions évoqué l'idée du mariage. J'avais une petite rose accrochée à ma veste et mes chaussures, achetées pour l'occasion, brillaient de mille feux, tant je les avais lustrées. Et puis tu es arrivée, au bras de ton père, resplendissante, souriante, mais d'un sourire timide, gênée par le regard des autres sur toi. Tu portais une robe blanche merveilleuse. Ton voile pendait dans ton dos et ta traîne frottait le sol dans un bruit étouffé. Tu as levé les yeux vers moi et j'ai eu l'impression qu'un trou s'était ouvert dans le plafond de l'église pour laisser le ciel illuminer ton visage. Tu étais l'incarnation de la beauté. Nous avons échangé nos vœux puis nous nous sommes embrassés après que le prêtre nous eu déclarés « Mari et femme ! ». Et quand tu as posé tes lèvres sur les miennes, plus rien ne comptait. C'était comme si l'église était vide, tous les invités envolés, seuls, toi et moi, à jamais.

    «  Les années passaient et nous étions toujours aussi fous l'un de l'autre. Bien sûr il y a quelques disputes, comme dans chaque couple. Quelques nuits où j'ai dormi sur le canapé parce que tu m'avais chassé de la chambre, quelques fois où tu es partie seule de la maison, menaçant de retourner chez ta mère, quelques moments où tu ne me parlait plus, tellement tu étais énervée. Mais il y avait aussi des moments où nous riions à en avoir les larmes aux yeux, des fois où nous nous embrassions à en avoir le souffle coupé, des nuits où nous nous allongions sur la pelouse pour contempler les étoiles, comme en ce moment, et de purs instants de bonheur. Comme j'aimais ces moments là… Je me souviens de ces soirs où tu étais assise dans ton fauteuil rose près du feu de cheminée. Un livre dans une main et une tasse de chocolat chaud dans l'autre… Et moi je restais debout dans l'encadrement de la porte et je t'observais pendant des heures, jusqu'à ce que tu ais fini ton chocolat et posé ton livre. Tu te levais avec délicatesse et venais vers moi en souriant. Et à chaque fois je me rappelais du premier jour où nous nous sommes rencontrés. Nous nous donnions la main et nous allions nous coucher dans notre vieux lit. Nous aussi, nous sommes vieux maintenant...

    «  Ma chère Mona, la vie est bien trop courte pour que je puisse te montrer tout l'amour que je ressens pour toi. Je t'ai prise, Mona Rively, comme épouse, et ai fais le vœu de te garder à jamais, dans l'abondance et la pauvreté – 8 juin 1959 : tu as perdu ton emploi, nous n'avions presque plus d'argent –, dans la joie et la tristesse – 19 septembre 1963 : le médecin nous a annoncé que tu ne pouvais pas avoir d'enfant –, dans la maladie et la santé – 31 décembre 1999 (aujourd'hui) : nous sommes condamnés à mourir, atteints tous les deux de la même maladie. Alors nous choisissons nous-mêmes de partir maintenant. Dans quelques secondes nous avalerons ces somnifères, et nous nous endormirons pour toujours, ensemble. C'est une soirée bien incongrue, tu ne trouves pas ? Allez, on y va. Ensemble, Mona. Et je te promets de t'aimer et de te chérir jusqu'à ce que la mort nous sépare – et même après. Oui je le promets.

    -Carl je…

    -Non Mona. Ne dis rien. »

     

    (Carl et Mona étaient allongés dans l'herbe, main dans la main et contemplaient les étoiles comme ils aimaient le faire les nuits de pleine lune. Ils avalèrent 27 comprimés chacun qu'ils tenaient dans leur main, avec un verre d’eau qu'ils avaient laissé près d'eux. Carl tourna la tête vers Mona et elle lui sourie. Ils regardèrent à nouveau les étoiles, en silence, –

     

    31 décembre 1999 – 23 heures 59 minutes et 50 secondes.

    10… 9... 8... 7... 6... 5... 4... 3... 2... 1… Je t'aime Mona.

     

    – jusqu'à ce que leurs paupières soient trop lourdes pour qu'ils puissent les garder ouvertes. Ils ne résistèrent pas, n'essayèrent même pas de lutter contre le sommeil. Il les emporta comme une brise emporte les feuilles mortes dans un bois. Aussi facilement. Carl et Mona s'étaient envolés quand ils en ont décidé. Ils ont été plus forts que la mort. Plus forts que tout. Et sur leur pierre tombale, sous leurs noms, trônent ces mots : A jamais. Le dernier ennemi qui sera vaincu, c'est la mort.)

     

     

     

    Et pour une dernière fois, il lui a parlé comme s'il lui écrivait...


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