• La voleuse de fleurs

    La voleuse de fleurs (nouvelle)

     

      

    La voleuse de fleurs

    Mon nom est Danny. Danny Collins. Et je vais vous conter l'histoire d'une fille pas comme les autres. Un peu sauvage et très timide. Une fille qui ne parle jamais. Une fille qui bouge tout le temps mais qui ne dit rien. L'histoire de Lila Neils. L'histoire de la voleuse de fleurs. 

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    La voleuse de fleurs

     

     

    Mon nom est Danny. Danny Collins. Et je vais vous conter l'histoire d'une fille pas comme les autres. Un peu sauvage et très timide. Une fille qui ne parle jamais. Une fille qui bouge tout le temps mais qui ne dit rien. L'histoire de Lila Neils. L'histoire de la voleuse de fleurs.

     

    J'ai 13 ans et je vis dans la petite ville de Raspburry. Ici tout le monde se connait et tout le monde sait tout. Il n'y a aucun secret dans un village comme le nôtre. Chacun connait le nom de tous les habitants et les nouveaux ne sont pas toujours les bienvenus. Seuls certains se font bien accepter. Et ce n'est pas le cas de cette petite.

    C'est une jolie demoiselle qui est arrivée il n'y a pas très longtemps, mais que, fait étrange, personne ne connait. Une jeune fille blonde, les yeux verts, très fine et qui devait avoir mon âge.

    Chaque fois que je rentrais de l'école, je la voyais, assise dans un arbre, ou marchant le long d'un jardin ou d'un champ. Elle ne me regardait jamais, ne me jetait pas même un regard. Je commençais à en être vexé, moi qui étais admiré par toutes les filles de ma classe.

    Un jour d'été, alors que je sortais dans mon jardin, j'ai entendu hurler. Pas de peur, non. De rage. Je suis sorti dans la rue, guidé par les cris et je suis arrivé cinq maisons plus loin.

    C'était Mme Violette. Une femme habituellement douce et calme. Je me suis approché de son jardin, dans lequel elle se trouvait.

     

    « -Qu'y a-t-il Mme Violette ?

    -Danny... C'est encore cette voleuse ! La voleuse ! La voleuse !

    -Qui ?

    -La voleuse de fleurs Danny... La voleuse de fleurs... »

     

    Mme Violette est rentrée chez elle, furieuse. Je reprenais la direction de ma maison lorsque je l'aperçus. La voleuse de fleurs était assise dans le grand chêne, en face de la demeure de Mme Violette. La voleuse était en haut et me regardait, à la fois curieuse et pensive. Elle tenait dans sa main droite un bouquet de fleurs violettes. Probablement des violettes. Je tournai la tête vers la maison de Mme Violette, pour l'appeler, mais un petit bruit feutré en provenance de l'arbre me fit regarder ce dernier. La voleuse de fleurs avait disparu.

    Je repris donc le chemin de ma maison, les mains dans les poches.

     

    Chaque jour qui passait apportait maintenant un nouveau plaignant. La voleuse de fleurs passait chaque jour dans un jardin différent. Et personne ne la voyait. Du moins, pas sur le fait. Les rares personnes l'ayant vue étaient à peine sorties dans leur jardin que la voleuse s'enfuyait déjà.

    Un soir, les gens du village organisèrent un banquet gigantesque. Ils devaient parler de la voleuse. Ils voulaient s'en débarrasser, ils voulaient qu'elle s'en aille.

     

    « -Ce n'est qu'une sale voleuse !

    -Une pilleuse !

    -Elle nous prend tout !

    -J'avais planté des bégonias l'an dernier, et les voilà volés.

    -Du calme, du calme, mes amis, il faut juste trouver un plan. Une solution pour qu'elle s'en aille... »

     

    Fatigué de toutes leurs plaintes, je m'en allais me promener. Nous étions au mois d'août et, bien qu'il soit déjà 21h passé, il faisait encore jour.

    J'approchais de la rivière, afin de regarder les poissons y nager, lorsque je la vis. Elle était là où j'avais l'habitude de m'asseoir, ses pieds trempants dans l'eau.

    Je m'approchais le plus lentement et doucement possible, ne faisait presque aucun bruit. Mais elle m'entendit quand même.

    Elle se retourna brusquement et se releva d'un bond lorsqu'elle me vit. Elle s'apprêtait à s'enfuir lorsque je la retint par le bras.

     

    « -Non, ne t'en vas pas, s'il te plaît... l'implorais-je. »

    Elle ne me répondit pas mais ne s'enfuit pas pour autant. Elle restait tout de même tendue, prête à déguerpir au moindre danger, comme un animal sauvage.

     

    « -Ne t'inquiète pas, je ne te ferais pas de mal. Les autres sont au festin, mais je ne les appellerais pas, sois-en sûre. »

     

    La voleuse de fleurs se détendit. Je l'invitais à se rasseoir, ce qu'elle fit, et commençais à lui parler des poissons.

     

    « -Je viens souvent ici. J'aime bien cet endroit. Les poissons sont beaux et l'eau est fraîche. J'y trempe souvent mes pieds et je m’assois à l'endroit exact où tu te trouves en ce moment. Parfois je pêche avec mon grand-père. Il amène deux cannes, une petite et une grande. Et on reste ici toute la journée, à attendre que ça morde. On prévoit des sandwichs, des boissons et quelques gâteaux. Ma grand-mère n'aime pas que nous prenions des gâteaux alors on les amène en cachette. Oh, elle le sait bien sûr. Chaque fois elle voit son placard se vider au fur et à mesure. Mais elle continue d'en acheter quand même... D'ailleurs elle était un peu énervée l'autre jour... Elle... elle est allée dans son jardin et elle t'as vue. Elle t'as vue t'enfuir avec des marguerites. Pourquoi est-ce que tu fais ça ? Pourquoi voles-tu les fleurs des habitants ? Et comment t'appelles-tu ?

    -Lila.

    -Tu t'appelles Lila ?

    -Lila. Oui.

    -Lila comment ?

    -Lila. »

     

    Lila se leva alors, me regarda et me sourit. Elle reprit les fleurs qu'elle avait volées aujourd'hui et partie, me laissant seul avec les poissons.

     

    Au fil des jours, Lila et moi nous forgeâmes une amitié. Elle n'était pas bien solide mais nous étions tout de même amis et c'était déjà un bon début. Je n'avais plus jamais eu l'idée de la dénoncer aux villageois ou de lui reprendre ses fleurs. Ni de l'empêcher de les voler.

    Chaque premier dimanche du mois, mon grand-père et moi allions pêcher à la rivière, et Lila venait toujours nous observer, de loin. Moi seul la voyait, et elle me souriait.

    Voilà maintenant un an que Lila volait des fleurs dans les jardins. Le nom de « voleuse de fleurs » lui était maintenant définitivement attribué et elle ne se faisait appeler que comme ça par les habitants du village. Sauf par moi. Pour moi elle restait Lila.

     

    Un premier dimanche matin de juillet, je ne vins pas à la pêche. Grand-père non plus. Lila le remarqua et, le lendemain, lorsque je vins, ce fut la première question qu'elle me posa.

     

    « -Danny, pourquoi n'es-tu pas venu pêcher hier ? »

     

    C'était la première fois qu'elle me posait une question. Car bien que cela fasse un an que nous nous connaissions elle continuait à ne pas parler beaucoup. Les mots sortaient de sa bouche avec un son cristallin et sa voix était douce comme l'eau de la rivière.

     

    « -Mon grand-père est décédé Lila... Il a été enterré hier.

    -Oh. »

     

    Lila perdit toute sa gaieté et sa bonne humeur d'un seul coup, comme si une vague de tristesse et de désespoir s'était emparée d'elle. Elle me prit la main, et m'entraîna plus loin.

     

    « -Où va-t-on Lila ?

    -Dans un endroit qui ne pourra te faire que du bien. »

     

    Elle ne m'en dit pas plus et continua de me tirer par la main. Nous arrivâmes alors au pied d'un grand peuplier, au bout de cinq minutes de marche. Lila commença à y grimper, ses fleurs toujours à la main. Je l'imitai et nous arrivâmes bientôt au sommet.

    De là où nous étions, nous avions une vue imprenable sur les montagnes verdoyantes, boisées et gigantesques, la rivière où nous étions précédemment et le coucher de soleil. Un magnifique coucher de soleil orangé, contrastant avec le ciel violet et bleu clair. C'était extraordinaire.

    Je tournai la tête vers Lila et elle me fit signe de ne rien dire. Elle voulait que je savoure ce moment.

    Au bout d'une dizaine de minutes à contempler ce magnifique paysage, elle se tourna vers moi, ses yeux verts brillants de mille feux.

     

    « -Voilà. Maintenant tu peux venir ici quand tu veux. C'est l'arbre de l'innocence.

    -L'arbre de l'innocence ?

    -Oui. L'enfance est l'endroit où personne ne meurt. Quand l'enfance se termine de cette façon brutale, on perd notre innocence. C'est ce que disait mon papa. Mais l'arbre de l'innocence te permettra de la retrouver pour un moment.

    -Alors toi aussi tu as perdu ton innocence ? »

     

    Lila ne répondit pas et, au lieu de cela, commença à descendre de l'arbre. Je l'imitai et elle mit sa main dans un creux de l'arbre. De là, elle sortie de nombreuses fleurs fraîches, de toutes sortes et de toutes les couleurs. Elle mit son bouquet en ordre et se remit à marcher. Je la suivis et elle m'entraina à nouveau vers un autre lieu. Mais cette fois-ci, c'était un endroit que je connaissais.

     

    « -Lila... Lila pourquoi est-ce qu'on va au cimetière ? Je n'aime pas cet endroit. »

     

    Elle ne me répondit pas et continua d'avancer. Elle semblait savoir exactement où elle allait.

    Elle marcha jusqu'à une tombe blanche, en marbre, et s'agenouilla devant. Elle sépara son bouquet en deux parties égales et déposa l'une de ces parties sur la tombe blanche. Elle sortit une petite ficelle du sac qu'elle portait et enroula les tiges du bouquet, afin qu'il tienne plus facilement.

    Je me penchais également pour lire le prénom des personnes enterrées ici.

     

    « Laura et Paul Neils. 

     

    A leur fille, Lila. »

     

    « -Alors ce sont tes parents ? lui demandais-je doucement.

    -Oui. Je vais te dire pourquoi je vole les fleurs Danny... Je les prends pour mes parents. Parce que les fleurs représentaient une grande partie de leur vie. Ils aimaient ça plus que tout au monde. Ça les passionnait. Et je pense que ce n'est pas parce qu'ils ne sont plus là qu'ils doivent en être privés.

    -Oh... C'est beau ce que tu fais Lila...

    -Viens Danny. »

     

    Lila me prit à nouveau par la main et m'entraîna vers la tombe de mon grand-père. Je n'avais plus peur d'y aller à présent. La douceur de Lila m'apaisait. Arrivés devant le pierre grise, elle me glissa dans les mains la deuxième partie du bouquet. Je le pris, le serrais dans mes mains, contre ma poitrine, et le déposais sur la tombe de mon grand-père.

    Nous restâmes ainsi pendant plusieurs minutes avant de nous en aller. En marchant, Lila parut un petit peu plus bavarde que d'habitude.

     

    « -Ça fait du bien de le faire, me dit-elle.

    -Oui... Tu sais Lila, je comprends maintenant, pourquoi tu volais les fleurs.

    -Merci. »

     

    Nous marchâmes jusqu'à arriver devant chez moi. Lila me sourit et je rentrais. Le temps de me retourner pour regarder derrière moi, elle avait disparu.

     

     

    Le lendemain lorsque je retournais à la rivière, elle n'y était pas. Je courus jusqu'à L'arbre de l'innocence, mais toujours aucune trace de Lila. Une idée me vint alors à l'esprit et je courus vers le cimetière. Là, sur la tombe de mon grand-père, était posée une feuille de papier, coincée sous une pierre pour ne pas qu'elle s'envole.

     

    «  Danny, excuse-moi, mais je ne peux pas rester avec toi. Maintenant

    que tu connais tout de moi, je ne peux plus rester. Je serais toujours à

    Raspburry, mais ne tente pas de me chercher. S'il te plaît... Je te

    laisserai des petits mots, des fleurs, et l'entrée de L'arbre de l'innocence.

    Et je continuerai de t'observer. Mais je ne pourrais pas continuer de te

    voir. Excuse-moi. »

     

     

    Cependant, je ne pouvais me résigner à ne plus voir Lila. Elle m'était devenue indispensable. J'avais besoin d'elle. J'avais besoin d'elle...

     

    Je courus à L'arbre de l'innocence. Et elle était là, sur l'une des plus hautes branches.

     

    « -Danny...

    -Pardon Lila. Mais moi je ne peux pas.

    -C'est mieux pour nous deux. Il ne faut pas...

    -Pourquoi ?

    -Parce que... Tu connais tout de moi.

    -Non Lila. Non. Je ne connais pas tout de toi. Et puis, il y a tant de choses que nous n'avons pas encore faites.

    -Comme quoi ?

    -Faire des ricochets. Pêcher. Gonfler des dizaines de ballons de baudruche et les lâcher dans le ciel. Manger des tas de bonbons à en avoir mal au ventre. Se déguiser, juste pour rire. Vivre sans se soucier des autres.

    -Danny... Je sais...

    -Alors reste Lila.

    -Mais...

    -Reste. »

     

    Lila fixait à présent les montagnes, et je grimpais à l'arbre pour la rejoindre.

     

    « -On ne peut vraiment rien t'obliger à faire n'est-ce pas ? me demanda-t-elle en souriant.

    -Pas ce genre de chose. Je ne pourrais jamais. »

     

    Lila tourna son visage vers moi, prit ma main et regarda à nouveau les montagnes. Nous restâmes ainsi pendant plus de deux heures.

     

     Depuis tout ce temps, Lila est, et demeurera pour toujours, la personne que j'ai de plus chère au monde. Et je ne saurais me passer d'elle…


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